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LIVRE DEUXIÈME.

suscitait, et avait embrassé le silence devant les hommes pour parler plus purement des choses célestes[1].

Mais au quatrième siècle pas plus qu’au dix-septième, pas plus que si c’était de nos jours, de telles actions ne paraissent simples et ne se font accepter du bon sens ordinaire. J’insiste là-dessus ; on croit trop à l’uniformité chrétienne de certains âges. Non, au dix-septième siècle pas plus qu’aujourd’hui, la grande action de M. Le Maître ne dut être comprise ni sembler possible ; elle parut (pour dire le mot) une folie. C’est là le sceau que porte au front l’héroïsme chrétien dans tous les temps ; et ceci, en nous montrant que le passé n’est pas ce qu’on se figure, que ce qui s’y est fait de grand et de saint s’y est fait toujours malgré le siècle, au scandale du siècle et sous son injure, en nous obligeant par là même à beaucoup rabattre de l’idée des temps passés, doit nous rassurer plutôt sur le nôtre, qui n’est peut-être pas pire, et qui, en fait d’enthousiasme encore fécond (je veux l’espérer), méprise ou simplement ignore ce qu’il enferme. Ausone et bien d’autres gens d’esprit jugeaient saint Paulin et Sulpice Sévère un peu atteints de vision[2] : M. le Chancelier crut

  1. « Piscatorum praedicationes Tullianis omnibus et tuis litteris prœtulisti… Mutescere voluisti, ut ore puro divina loquereris… » Il faut lire toute cette cinquième Épître de Paulin à son frère Sévère, dans laquelle celui-ci est préféré à la reine de Saba ; il faut lire surtout dans l'Histoire littéraire de M. Ampère, liv. I, les deux intéressants chapitres VII et VIII sur ces deux saints amis : les vrais précédents de notre sujet sont là.
  2. Sévère, ému de la rumeur publique, avait même eu l’idée d’un compte rendu de ses motifs, et il y travaillait ; mais son ami l’en détourna (Lettre première de Paulin à Sévère). M. Singlin crut également devoir publier un petit écrit apologétique des motifs de M. Le Maître, et M. de Saint-Cyran ne le trouva pas mauvais ; il s’agissait tout autant par là de tranquilliser le nouveau converti que de persuader les honnêtes gens moqueurs. Ceux-ci disaient : « Est-ce qu’il n’y avoit pas un parti à prendre plus simple et moins singulier ? Si on vouloit quitter le Palais, falloit-il pour cela s’aller cacher dans un trou ? Ne pouvoit-on pas se tenir retiré chez soi et édifier