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PORT-ROYAL.

En même temps qu’il écrivait à M. le Chancelier, et même avant de lui écrire, M. Le Maître remplissait un


    de Chapelain. — Dans une lettre de Chapelain à Balzac, du 20 décembre 1637, on lit :
    «…Pour nouvelles, vous saurez que M. Le Maître, notre ami, se laissant enfin emporter à la violente inclination qu’il a eue de tout temps pour la retraite, l’a faite dans des termes qui me donnent de l’admiration et qui donnent de l’indignation aux autres : car s’étant résolu à vivre en solitude comme religieux sans néanmoins l’être, il a protesté par une lettre qui passe pour publique, étant écrite à M. le Chancelier, de renoncer dès à présent à tout bénéfice ou dignité dans l’Église, quand on lui en voudroit donner, et même à la prédication et à l’écriture : et depuis cela, s’est allé loger en lieu ignoré de tout le monde, dans un ferme propos de ne se plus laisser voir, et de passer le reste de ses jours dans l’oraison et la pénitence Dieu veuille lui donner la force de persévérer dans un si grand et louable dessein, et faire trouver faux tous les bruits que cette action si extraordinaire a fait naître !»
    Et dans une autre lettre au même Balzac, du 25 janvier 1638 :
    «Quant à M. Le Maître, quelque dissimulé que vous me croyiez, je vous en dirai ma dernière et sincère pensée. De tout temps, il a penché d’inclination du côté de la retraite, et il y a plus de six ans (?) qu’il l’eût faite, si M. de Saint-Cyran, qui a été son souverain pontife, le lui eût voulu permettre. À la mort de madame d’Andilly, cette sainte passion s’est réveillée et l’a pressé si vivement, qu’il n’a douté aucunement que Dieu ne le voulût attirer à lui par cette voie. M. de Saint-Cyran s’est trouvé de cet avis, et la résolution a été prise sur la fin de septembre dernier, qu’il renonceroit au monde périssable pour en acquérir un qui ne finit jamais. M. d’Andilly et mademoiselle Le Maître (c’est-à-dire, madame Le Maître, sa mère), avec toutes les religieuses du Portréal, l’ont approuvée extrêmement, et puisque notre ami étoit persuadé que son salut dépendoit de ce genre de vie, j’y eusse aussi bien donné les mains qu’eux, s’il ne l’eût point pris si étrange que je vous l’ai mandé et que vous le verrez par la copie de la lettre qu’il écrivit sur ce sujet à M. le Chancelier, laquelle je n’ai pu recouvrer que depuis quatre jours pour vous l’envoyer : mais je vous avoue que cet excès me coûte, et que je ne puis estimer bien sage le pieux Directeur qui l’a poussé ou qui l’a laissé aller à un mouvement dont le principe est excellent, mais dont la suite est si périlleuse au jugement de personnes qui sont plus dans ces sortes de pratiques que moi. Je sais que je philosophe grossièrement en ces matières, et ne me fie pas de ma propre raison lorsqu’il faut prononcer décisivement : toutefois, je pense pouvoir dire que ces singularités sont ordinairement ruineuses à ceux qui les affectent, et qu’elles laissent après soi de longs et inutiles repentirs. M. l’abbé de Saint-Nicolas et son jeune frère, chanoine de Verdun, sont dans ce sentiment. Le Palais juge cette résolution, avec les circonstances de la lettre, pour un trouble d’esprit. Les plus ignorants des excellentes parties de notre ami pensent que ce soit une route nouvelle pour parvenir à prélatures, et les uns et les autres lui font un tort extrême ; car s’il n’a pas fait