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PORT-ROYAL.

ne saurait suppléer le récit du naïf Fontaine et son éloquence de cœur :

«Quand il (M. deSéricourt) vit M. Le Maître dans cette espèce de tombeau où il étoit enseveli tout vivant, et dans un air si lugubre de pénitence qui l’environnoit, il en fut tout saisi ; et avec des yeux étonnés, il cherchoit M. Le Maître dans la personne qu’il voyoit, et il ne le trouvoit pas. M. Le Maître remarqua son étonnement, et, d’un air gai, mais tout de feu, il lui dit en l’embrassant : «Ah ! me reconnoissez-vous bien, mon frère ? Voilà ce M. Le Maître d’autrefois : il est mort au monde, et il ne cherche plus qu’à mourir ici à lui-même. J’ai assez parlé aux hommes dans le public ; je ne cherche plus qu’à parler à Dieu. Je me suis tourmenté fort inutilement à plaider la cause des autres ; je ne plaide plus que la mienne dans le secret et le repos de ma retraite. J’ai renoncé à tout. Il n’y a plus que mes proches qui partagent encore mon cœur ; je voudrois bien qu’il plût à Dieu d’étendre sur eux les grandes grâces qu’il m’a faites. Vous, mon frère, qui paroissez si surpris de me voir en cet état, me ferez-vous le même honneur que quelques-uns me font dans le monde, qui croient et publient que je suis devenu fou ? » — «Non, sûrement, mon frère, dit M. de Séricourt ; je ne vous ferai pas cet honneur. Nous avons été élevés d’une manière si chrétienne que nous ne pouvons ignorer qu’il y a de sages folies ; je mets la vôtre de ce nombre. Depuis le moment qu’on m’a dit cette nouvelle à l’armée, j’ai souhaité bien des fois de pouvoir vous imiter. Je ne vous cèle pas que je venois ici plus qu’à demi rendu ; mais ce que je vois achève tout. » — «Que prétendois-je avec toute mon éloquence, lui dit M. LeMaître, et que prétendez-vous aussi vous-même par tous vos travaux et vos combats ? Jamais je ne me suis trouvé plus heureux que depuis que je n’ai plus endossé ma robe : vous éprouveriez sûrement le même bonheur si vous vouliez renoncer à l’épée.»

«Il se dit ainsi plusieurs choses semblables, et, Dieu achevant en secret ce qu’il avoit commencé de loin dans le cœur de M. deSéricourt, celui-ci, après avoir observé avec des yeux attentifs toutes les démarches de M. son frère, lui