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LIVRE DEUXIÈME.

témoigna enfin qu’il ne pensoit plus à la guerre et qu’il vouloit vivre et mourir avec lui. Par une résolution si soudaine et si généreuse, il combla de joie un frère qui désiroit sa conversion avec ardeur, et une mère admirable qui avoit taché mille et mille fois de l’enfanter à Jésus-Christ, comme étant celui de tous ses enfants pour qui elle avoit toujours ressenti une tendresse particulière[1]

Fontaine donne en cet endroit une lettre que M. de Séricourt aurait écrite alors à M. de Saint-Cyran ; mais il l’a sans doute refaite de mémoire, et on y relève des impossibilités. Il y suppose que le saint abbé est déjà en prison, et que M. de Séricourt lui demande la grâce de s’y aller enfermer avec lui. Or M. de Séricourt fut rappelé à Paris à l’occasion même de la mort de madame d’Andilly ; sa conversion ne suivit guère que d’un mois celle de M. Le Maître, et précéda l’arrivée de Lancelot, qui nous fixe sur tous ces points en témoin oculaire. Quoi qu’il en soit de cette légère confusion chronologique, qui chez le bon Fontaine n’est pas la seule, l’aimable auteur achève ainsi la peinture :

«Cet homme admirable (M. de Saint-Cyran) jugea, qu’il seroit mieux pour le bien de ces deux frères qu’ils fussent ensemble : ce qui fut fait aussitôt, et ils n’écrivoient que sous le nom de premier et second ermite. Ils goûtoient ensemble les douceurs de la solitude, sans se l’interrompre l’un à l’autre ; ils étoient trop consolés de se voir sans qu’il leur fut nécessaire de se parler. M. Le Maître bénissoit Dieu de voir M. de Séricourt se rendre compagnon de celui dont il etoit en quelque façon la conquête : M. de Séricourt contemplant des yeux de la foi ce prodigieux changement de son frère aîné, tâchoit de ne point dégénérer de sa ferveur ;

  1. Mémoires de Fontaine, t. I, p, 80 et suiv. J’en possède un manuscrit d’après lequel j’introduis quelques variantes. Le texte imprimé a été assez retouché dans le temps, très judicieusement en géneral, mais sur quelques points de style un peu grosso modo.