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PORT-ROYAL.

une espèce de jugement de Dieu sur lui, qui le faisoit rabaisser jusqu’au centre de la terre ; »mais au même instant il relevait sa confiance jusque dans Dieu même et n’avait plus de regard qu’à la Providence. Étant devenu, comme par nécessité, directeur des religieuses et des solitaires durant la prison de M. de Saint-Cyran, il ressentit, à la délivrance de son cher maître, une première joie que redoublait encore celle de se croire délivré lui-même d’un si grand fardeau ; il en fut pour son désir. M. de Saint-Cyran, à qui il s’en ouvrit un jour, répondit à toutes ses objections, déjoua tous ses pieux stratagèmes et comme ses fuites et refuites dans le champ de Dieu ; il ne lui laissa aucune issue. Fontaine nous a transmis dans ses Mémoires un grand et complet récit de cette conversation : j’en extrairai une bonne partie. Y a-t-il tant à craindre d’être long à approfondir et à retourner en tous sens ces caractères ? C’est l’entière doctrine du Christianisme que nous agitons là à propos d’une histoire particulière et dans une enceinte déterminée. Il me semble qu’on en sortira peut-être plus versé et plus fixé dans la science morale des âmes. On saura au net ce que c’est qu’un pénitent (M. Le Maître), un maître (M. Lancelot), un prêtre (M. Singlin). Quelqu’un de bien célèbre de nos jours s’est écrié une fois devant les hommes : «Je leur ferai voir ce que c’est qu’un prêtre !» Il a trop prouvé par la suite que même alors il n’en savait rien. M. Singlin, dans son effroi de l’être, va nous montrer combien il l’était. Cette humilité profonde combinée avec l’autorité même et comme logée en cette haute royauté de l’autel décrite par Saint-Cyran, voilà la juste marque du prêtre chrétien tel qu’il va s’achever et vivre de plus en plus sous notre regard.

L’entretien se passe dans les commencements de l’année 1643 (probablement en mars), peu après la sortie