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LIVRE DEUXIÈME.

de M. de Saint-Cyran du Donjon et quelques mois avant sa mort[1].

«… Après avoir longtemps gémi dans cet engagement et soupiré ardemment vers la retraite, ne pensant plus qu’à s’enfermer pour le reste de ses jours dans l’abbaye de Saint-Cyran, où il avoit un de ses frères religieux, M. Singlin crut voir enfin quelque jour et quelque bluette d’espérance[2] à l’accomplissement de ses longs désirs, par la nouvelle liberté de M. de Saint-Cyran.»

«Un jour donc qu’il étoit étrangement agité de ces tempêtes d’esprit qui sont propres aux pasteurs des âmes[3], il vint au matin, le trouble dans le cœur et dans les yeux, trouver ce saint abbé et le prier d’avoir enfin pitié de lui. Il lui représenta qu’il lui avoit fait savoir assez souvent ce qu’il souffroit dans la direction des âmes ; qu’il avoit toujours tâché de se soutenir dans ses peines par l’espérance que la liberté du précieux captif y pourroit mettre une fin ; que maintenant que Dieu avoit écouté tant de prières et tant de vœux en le leur rendant…, il n’avoit plus qu’à se retirer ; qu’aussi bien il n’étoit plus maître de lui, et que les tempêtes d’esprit dont il se sentoit continuellement agité le submergeoient.»

«M. de Saint-Cyran l’ayant écouté paisiblement, lui répondit après qu’il eut tout dit : «Excusez-moi si je vous dis, Monsieur, que tout ce que vous venez de me représenter est superflu. Vous êtes dans un lieu ; Dieu vous y a mis : vous n’en pouvez sortir que Dieu ne vous en retire. C’est à vous cependant à faire ce que saint Paul recommande à son

  1. Tout ce qui suit est extrait et abrégé des Mémoires de Fontaine (Cologne, 1738), tome I, p. 204 et suiv. Les variantes que l’on pourrait trouver entre notre texte et celui même des Mémoires sont, la plupart, autorisées par le manuscrit que je possède, ou motivées par une quantité de petites raisons sur lesquelles je requiers, une fois pour toutes, crédit et confiance : rien n’a été fait à la légère et je n’ai eu en vue que de ramasser la vérité.
  2. C’étaient là les bluettes de ces austères.
  3. «Turbati sunt et moti sunt sicut ebrius, et omnis sapientia eorum devorata : ils sont troublés et chancellent comme un homme ivre, et toute leur sagesse est anéantie.» (Psaume CVI, 27.)