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PORT-ROYAL.

des vérités pratiques qu’il y avait remuées, ils s’en retournaient chez eux en silence, les repassant longuement, non sans confusion et douleur. « Le Seigneur lui a tellement augmenté sa grâce depuis un an, écrivait la mère Angélique à la Reine de Pologne (mars 1648), que ses sermons, qui ont toujours été solides, comme Votre Majesté le sait, le sont encore davantage ; et même Dieu l’a rendu éloquent pour satisfaire à la foiblesse du temps…, » Et en juin de la même année : « Notre nouvelle église est toujours pleine. Il se convertit toujours quelqu’un. » Ce quelqu’un immanquablement de converti pendant le sermon de M. Singlin, ce fut une fois Pascal ! — Chaque prédication de Paris peuplait le saint désert des Champs.

On ne peut guère juger de son genre de talent oratoire (si le mot est applicable à M. Singlin) d’après les cinq ou six volumes d’Instructions chrétiennes qu’on a publiées sous son nom[1] : on n’y trouve que la substance réduite et l’abrégé des sermons qui n’eurent peut-être jamais rien de plus particulièrement saillant ; mais la parole continuelle y manque, la vie s’est retirée. Ce n’est plus qu’un bon livre, dont la lecture commandée ennuyait beaucoup (je crois m’en rappeler la confidence) certaines matinées de congé de M. Royer-Collard enfant. La manière de M. Singlin se rattache dans l’ordre chrétien à l’humble éloquence dont saint Césaire d’Arles est le type souvent cité : ces paroles toutes pratiques et pénétrées ne se survivent que dans les fruits qu’elles engendrent autour d’elles ; elles n’ont d’autre immortalité que celle des âmes mêmes qu’elles ont réveillées à Dieu, et celle-là est assez belle[2]. L’érudition

  1. 5 vol. in-8, 1671 ; j’en ai sous les yeux une édition en 6 vol. in-12 (1744), qui doit être la septième. La Vie de M. Singlin, qu’on lit en tête, est de l’abbé Goujet.
  2. Un ecclésiastique ami de Port-Royal, et qui se peut dire dis-