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LIVRE DEUXIÈME.

des sermons de M. Singlin n’était pas de lui ; il la demandait à M. Arnauld, à M. de Saci, qui lui en préparaient la matière ; il apprenait ce fonds par cœur ; mais cela s’animait bientôt d’une nouveauté d’onction sur ses lèvres, qui pourtant, nous dit Fontaine, n’avaient au premier abord rien que de pénible : impeditioris et tardioris linguae sum. De cette bouche sans grâce, un miel plus austèrement divin se distillait.

Son art principal et naturel était de se proportionner, de se rabaisser aux âmes. Au lieu que la plupart des prédicateurs, nous dit M. de Sainte-Marthe, lors même qu’ils prêchent le mieux, ne s’adressent souvent à personne, M. Singlin parlait tellement au cœur de tout le monde, que chacun croyait qu’il ne parlait que pour lui ; et comme il est écrit que la manne prenait le goût de toutes les viandes que les Israélites désiraient, ainsi par lui la parole générale de la chaire venait s’accommodant à chaque âme secrète, aux simples ou aux délicats comme aux forts.

    ciple de M. Singlin en fait de prédication, M, Feydeau, a défini fort ingénument, dans ses Mémoires (inédits), ce genre de prône purement chrétien et la différence qu’il y avait de cette méthode à celle des Jésuites d’avant Bourdaloue. Étant curé à Vitry, il y reçut la visite d’une dame fort pieuse, Mme de Bélisi, qui amena avec elle le précepteur de son fils, M. de La Valterie. Celui-ci prêcha le jour de la Pentecôte 1670 : « Il étoit sorti des Jésuites après le quatrième vœu, je ne sais pas pourquoi, nous dit M. Feydeau. Me voyant appliqué les matins à l’étude de l’Évangile dont je tâchois de découvrir le sens et de le pénétrer autant que je le pouvois faire pour le faire ensuite connoître au peuple que Dieu m’avoit confié, il me témoigna en être étonné et qu’il avoit prêché, étant Jésuite, comme les autres ; que ni lui ni les autres ne s’amusoient point à cela ; qu’ils lisoient leur Évangile dans le missel et cherchoient dans tous les auteurs païens ou chrétiens de quoi discourir et entretenir le monde. Je lui dis qu’il falloit prendre les principes de la morale chrétienne dans l’Évangile, et de là en tirer les conclusions et en faire les applications, et que, manque de cela, on voyoit que les chrétiens avoient beau assister aux sermons, ils n’étoient point instruits de leurs obligations, ni de leurs devoirs, ni de l’union qu’ils dévoient avoir avec Jésus-Christ. »