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PORT-ROYAL.

ligues, mais il la dirige tout spécialement et plus directement contre les théologiens de la Compagnie de Jésus. Encore ici, des prêtres, des religieux qui ont pour fin l’exercice du ministère apostolique peuvent-ils rester insensibles et muets sous l’accusation d’hérésie ?

De son côté, Saint-Cyran commence aussi la guerre contre les Jésuites, mais avec plus de violence encore, et avec d’autant moins de ménagements qu’il reste caché sous le voile du pseudonyme.

À l’entendre, les Jésuites Molinistes, qui ne partagent pas ses opinions (pour le moins bizarres, quand elles ne sont pas condamnables), « sont de véritables rejetons de Pélage ; ce sont les inventeurs et les propagateurs de fausses doctrines, des hommes qui n’ont presque aucune connaissance de la discipline ecclésiastique, qui ont perdu tout respect pour l’autorité des prélats de l’Église, toute humilité chrétienne et toute pudeur naturelle ; des ignorants qui se font un jeu de leur ignorance dans les matières importantes de la Grâce ; des directeurs sans lumière et sans conscience qui font consister la piété des personnes qu’ils conduisent dans le seul usage des sacrements et dans les pratiques extérieures, sans se mettre en peine des sentiments de dévotion intérieure et de la préparation du cœur[1]. »

On pourrait croire que nous exagérons, et cependant ce n’est pas là la centième partie des griefs ou des épithètes outrageantes dont Saint-Cyran charge les Jésuites[2].

Mais 3°, quelles preuves, lui et Jansénius, apportent-ils pour justifier des imputations si graves ? aucune que je sache, du moins qui soit concluante, ou qui ait quelque valeur aux yeux de l’Église. Jansénius accusait les Jésuites d’être Pélagiens, c’est-à-dire hérétiques. Son accusation est tombée à faux, et c’est lui-même qui est convaincu d’avoir enseigné en son livre des opinions hérétiques. La doctrine des Jésuites (Molinistes), Bossuet lui-même en convient, est restée intacte dans l’Église. (Troisième Avertissement aux Protestants.)

À cette accusation fausse et injuste d’hérésie, Saint-Cyran en ajoutait d’autres : celles de désobéissance, d’ignorance, de morale relâchée.

En preuve de cette désobéissance et de ce manque de respect envers les prélats de l’Église, Saint-Cyran allègue les démêlés survenus entre Richard Smith, vicaire apostolique en Angleterre,

  1. Petri Aurelii Theologi Opera (in-f° Parisiis, 1642) ; Vindiciae adversus Spongiam, passim.
  2. Il les appelle schismatici, theologastri, ridiculi, inepti, stolidi, scurrae, sacrilegi, etc. De leur côté, les Jésuites qui ont répondu à Petrus Aurelius n’ont guère été plus réservés dans l’emploi des épithètes injurieuses. C’était la maladie de l’époque ; il faut donc passer sur la forme et ne considérer que le fond