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APPENDICE.

vient de voir ; 1o quels ont été les agresseurs ; 2o quels crimes ou griefs les deux adversaires se sont imputés les uns aux autres ; 3o comment ils les ont prouvés.

1o Il est évident que les Jansénistes (dans la personne de leurs deux patriarches, Jansénius et Saint-Cyran) ont été les auteurs de la guerre. Saint-Cyran avait été élève des Jésuites ; on ne voit pas qu’il ait eu personnellement à se plaindre des disciples de saint Ignace, du moins jusqu’à l’époque où il s’est montré au grand jour leur ennemi. Il en est de même de Jansénius : le refus qu’ont fait les Jésuites de le recevoir dans leur Ordre n’est pas une injure ; c’est un droit qu’ils avaient, et dont ils ont usé du reste, à ce qu’il paraît, avec tous les égards et toutes les marques de bienveillance qu’on pouvait exiger.

Si, plus tard, Jansénius a comploté secrètement avec son ami contre la Société de Jésus ; s’il a fait deux fois le voyage d’Espagne pour desservir les Pères auprès de sa Majesté Catholique, qu’en conclure contre les Jésuites Lorsque le docteur de Louvain qui s’était déclaré leur adversaire fut élevé sur le siège d’Ypres, ne l’ont-ils pas accueilli avec tous les honneurs dus à sa nouvelle dignité ? lorsque, après sa mort, il fut question d’imprimer son ouvrage intitulé Augustinus, et composé en partie contre la doctrine des Jésuites (ce qu’ils ignoraient encore), n’est-ce pas un religieux de la Compagnie, le Père Henschénius, Bollandiste, qui a sollicité à Vienne et qui a obtenu le Privilège impérial pour le livre de l’évêque d’Ypres[1] ? À la vérité, dès que les Jésuites surent que Jansénius ne se contentait pas de condamner leurs opinions théologiques, mais qu’il osait jeter le blâme sur la doctrine de l’Église, ils ne tardèrent pas à attaquer le nouvel ouvrage. On ne peut leur contester ce droit, qui était pour eux un devoir : car la polémique contre l’hérésie est un des buts principaux de leur institut.

En second lieu, quels sont les crimes ou griefs que les deux patriarches du Jansénisme ont reprochés aux enfants d’Ignace ? Jansénius les accuse tout simplement d’être Pélagiens ou semi-Pélagiens, c’est-à-dire hérétiques. Il est vrai qu’il fait peser la même accusation sur la presque universalité des docteurs catho-

  1. Voici ce qu’écrit à ce sujet le Bollandiste Papebroeck, disciple et successeur d’Henschénius : « Rogatum fuisse (Henschenium) a Patre Adriano Crommio pro Jacobs Zeghers, Lovaniensi typographo, privilegium Caesareum Vienna impetrandum Augustino Cornelii Jansenii ; quod privilegium acceperat miseratque Lovanium. » (Annales Antuerpienses, auctore Daniele Papebroeck, societatis Jesu, t. IV, p. 420.) Ce ne fut que plus tard, comme le rapporte le même auteur, que les Jésuites connurent par une indiscrétion du Président Rose le but que Jansénius se proposait dans son livre : « Dominus Roosen, praeses concilii secretioris, aiebat : « Triumpharent nunc Jesuitae ; proditurum brevi librum, qui demonstraret eorum doctrinam totam esse Pelagianam. » (ibidem.)