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APPENDICE.

les partisans des doctrines janséniennes : par un artifice qu’on ne saurait concevoir chez des gens qui ont tant crié contre les restrictions mentales, ils s’étaient soumis extérieurement, et en apparence simplement, aux décisions du Pape ; mais ils protestaient en secret contre cette soumission pure et simple, et n’avaient signé le Formulaire d’Alexandre VII qu’avec les restrictions condamnées.

Si les disciples de Jansénius, lors même qu’ils paraissaient s’être soumis au jugement de l’Église, restaient encore attachés de cœur aux doctrines proscrites, que dire des mêmes sectaires avant leur apparente soumission ? Et n’était-il pas permis de les attaquer ?

Quant au premier docteur de la secte, Jansénius, les Jésuites ne remplissaient-ils pas une obligation essentielle de leur Institut en combattant sa doctrine et en s’efforçant d’en montrer tout le venin[1] ? Jansénius lui-même n’avait-il pas compris qu’il venait imposer à l’Église un enseignement nouveau et tout autre que celui qui était donné alors par les docteurs catholiques ?

Que veulent dire en effet ces confidences qu’il fait à son ami[2] : « Qu’il n’ose dire à personne du monde ce qu’il pense des opinions de son temps sur la Grâce et la Prédestination… ; que ses découvertes étonneront tout le monde… ; que si sa doctrine vient à être éventée, il va être décrié comme le plus extravagant rêveur qu’on ait vu… ; qu’il en est effrayé… ; qu’il y a bien des choses dont il n’a jamais ouï parler dans le monde… ; qu’il fera en sorte que son livre ne paroisse pas de son vivant, pour ne pas s’exposer à passer sa vie dans le trouble… ; qu’il ne sera pas facile de le faire passer aux juges, et surtout à Rome… ; qu’il craint qu’on ne lui fasse à Rome le même tour qu’on a fait à d’autres (à Baïus) ; enfin, que ne pouvant espérer que son livre soit approuvé au delà des Alpes, il pense, comme Saint-Cyran, que cette affaire (l’établissement de leur doctrine) ne peut réussir qu’à l’aide d’un puissant parti, etc. »

On voit clairement dans cette Correspondance le complot que forment entre eux, contre l’Église, deux prêtres novateurs et factieux. L’auteur de Port-Royal a bien senti la vérité de ces conclusions, et il les a exprimées lui-même tout en paraissant vouloir les atténuer : aux yeux des Jésuites et des Catholiques, elles n’en conservent pas moins toute leur force et tout leur danger.

  1. Saint Vincent de Paul allait encore plus loin : il pensait que ceux même à qui leur état ne fait pas un devoir rigoureux de démasquer les hérétiques, y sont obligés par le droit naturel ; « Se taire en pareille circonstance, disait-il, c’est conniver au mal ; en de pareilles causes, le silence est suspect, et nous serions coupables si par notre silence nous laissions un cours libre à l’erreur. » (Lettre de saint Vincent de Paul à M. d’Horgni, du 25 juin 1648.)
  2. Jansénius à Saint-Cyran, lettres 16, 17, 21, 25, 63, 131, etc.