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PORT-ROYAL.

En résumé, les Pères de la Compagnie de Jésus voyaient en Jansénius et en Saint-Cyran non pas seulement des ennemis de leur Compagnie, mais des ennemis de l’Église, et, au point de vue de la foi, ils ne pouvaient pas les juger autrement. Que dans un tel ou tel cas particulier, ils se soient trompés et leur aient attribué, sans des motifs assez concluants, des opinions fausses ou pernicieuses, ce n’était là qu’une erreur de détail bien pardonnable à la faiblesse de l’esprit humain ; mais, pour le fond, les Jésuites étaient dans le juste et dans le vrai en tout ce qui concerne la doctrine. Sentinelles catholiques vigilantes, ils avaient sonné l’alarme : c’est qu’ils avaient d’abord reconnu l’ennemi.

Quant à Jansénius, la chose est claire et hors de doute. Il y a plus de difficulté par rapport à Saint-Cyran[1] : ses lettres à Jansénius ont été perdues ; et il paraît qu’il n’a pas mis par écrit les maximes qu’il débitait à ceux qu’il croyait pouvoir gagner, et qui sont attestées par des personnes graves et dignes de foi.

Qu’il nous soit permis d’insister sur ce point. Il nous semble qu’on passe trop légèrement sur les témoignages qui chargent Saint-Cyran, et en particulier sur celui qu’en a rendu à plusieurs reprises le saint fondateur des Filles de la Charité. L’accusation soulevée par saint Vincent de Paul contre l’abbé de Saint-Cyran est si claire, si formelle ; il l’a si souvent répétée et en paroles et par écrit, et avant et après la mort dudit abbé ; elle est environnée de tant d’autres témoignages du plus grand poids, qu’elle est hors des atteintes de la critique la plus sévère. De plus, le témoignage unique qu’on lui oppose, celui de M. de Barcos, outre qu’il est trop intéressé pour être impartial, n’est pas en contradiction aussi formelle qu’on affecte de le penser avec les autres faits notoires et évidents. Je ne parle que des faits allégués par M. de Barcos et non des inductions qu’il en tire. Qu’allègue-t-il en effet ? Que, malgré un avertissement que Vincent de Paul avait cru devoir donner à Saint-Cyran et une explication qu’il avait exigée de lui sur quelques points de doctrine, cet homme de charité n’avait pas rompu tout commerce avec cet ancien ami ; qu’il lui avait rendu visite, à lui Barcos, dans le temps de l’arrestation de son oncle ; qu’il avait fait prévenir le prisonnier d’être sur ses gardes dans ses réponses ; qu’il évita de le charger devant M. de Laubardemont[2] et dans un entretien particulier qu’il eut avec le cardinal

  1. On parle ici de la doctrine personnelle de Saint-Cyran, celle dont il était l’auteur et le propagateur ; car, pour les erreurs de Jansénius, on sait que son ami se faisait gloire de les partager et de les répandre (Lancelot, Mémoires touchant la Vie de M. de Saint-Cyran, tome Ier, pages 105 et 106).
  2. Ce ne put être d’ailleurs que dans un entretien non juridique ; Vincent de Paul n’aurait point consenti à répondre catégoriquement devant un juge laïque.