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PORT-ROYAL.

droit à l’église, et on la réconcilia, en y plantant la croix au plus haut de la tour ; on plaça ailleurs l’étendard du comte ; et il était juste que la croix précédât et dominât l’étendard, car c’était le Christ qui avait pris la ville. Cela fait, l’abbé des Vaux de Sernai (Guy) qui avait assisté au siège, et qui brûlait de zèle pour la cause du Christ, apprenant qu’une multitude d’hérétiques étaient enfermés dans une maison, alla vers eux avec des paroles de paix, et il les exhortait au salut ; mais on l’interrompait du dedans par des cris : « Pourquoi nous prêches-tu ? Nous ne voulons pas de ta foi ! …» Ce qu’entendant, l’abbé sortit et alla vers les femmes qui étaient assemblées dans une autre maison, leur portant les mêmes paroles. Mais s’il avait trouvé les hommes hérétiques durs et obstinés, il trouva, est-il dit, les femmes hérétiques encore plus obstinées et plus endurcies. Et le comte, qui n’était pas encore entré dans la ville, entra alors, et, après avoir essayé à son tour quelques paroles près des récalcitrants, n’y gagnant rien, il les fit tirer du château. Il y avait d’hérétiques fieffés cent quarante et plus. On fit un grand feu et on les y jeta, ou plutôt il n’était pas besoin qu’on les y jetât, car les diaboliques s’y précipitaient d’eux-mêmes. Trois femmes pourtant échappèrent, que la noble dame, mère de Bouchard de Marli, arracha du feu et parvint à réconcilier à l’Église catholique. Les hérétiques fieffés étant ainsi passés au feu, ceux qui restaient abjurèrent l’hérésie et furent réconciliés à l’Église[1]

La circonstance particulière que Bouchard de Marli, fils de Mathilde, avait été fait prisonnier quelque temps auparavant et était gardé alors par ceux de Cabaret, ne saurait diminuer le prix de cette action compatissante

  1. L’auteur de la Chronique en vers provençaux, publiée par M. Fauriel, parle de la prise du château de Minerve, mais avec moins de détails et sans mentionner Mathilde.