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LIVRE PREMIER

pour un des avocats les plus parfaits, je ne dis pas dans ses plaidoyers, qui eurent leur manière d’éloquence viagère, mais dans l’ensemble et dans l'esprit même de sa profession. Il était chef du Conseil d’une quantité de princes, de princesses et de grands qui ne consultaient jamais que chez lui, dans son cabinet.[1] Il tenait sa profession à honneur au moins autant que fera, un siècle plus tard, Matthieu Marais ; on ne put le décider jamais à être autre chose. À la mort de M. Marion son beau-père, il ne voulut pas devenir avocat-général. Le maréchal d’Ancre, qui lui faisait, en quittant Paris, de petites visites amicales d’adieu à quatre heures du matin, en était pour ses offres obligeantes. On disait assez haut dans la famille qu’il possédait toutes les qualités pour avoir les sceaux, pour être un grand chancelier de France ; on ajoutait même tout bas et un peu glorieusement qu’il en avait été question en cour, au Louvre ; qu’à certaine occasion on y avait songé à Saint-Germain. — Au dix-huitième siècle, un autre grand avocat, Gerbier, défendant les héritiers d’une ancienne fondation de Nicole, plaidera pour Port-Royal et pour les sectateurs de cette maison dans une cause célèbre. Entre la plaidoirie d’Arnauld contre les Jésuites à la fin du seizième siècle et celle de Gerbier pour Port-Royal au dix-huitième, notre sujet monastique s’encadre tout d’un coup assez oratoirement. Ces deux grandes voix, dont l’une passa pour éloquente en son temps et dont l’autre le fut certainement dans le sien, me semblent faire écho et se répondre par-dessus le cloître immobile, à l’ombre duquel M. Le Maître contrit, qui les entend et qui s’en dévore, garde un silence obstiné.

M. Marion et M. Arnauld étaient des chrétiens,[2]

  1. La maison à Paris de cette branche des Arnauld était l’hôtel de Pomponne, rue de la Verrerie, paroisse Saint-Merry.
  2. M. Marion, je dois pourtant le dire, ne passait pas pour très