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PORT-ROYAL

mais des chrétiens selon le monde ; et le monde, sauf les modes et les apparences, se retrouve toujours et partout un peu le même. C’étaient d’honnêtes gens, mais qui, tout du seizième siècle et de robe qu’on se les figure (c’est-à-dire ce qui nous semble le plus austère), songeaient à l’avancement des leurs, à l’établissement de leur maison ; et les moyens de le procurer tombaient plus d’accord avec l’usage et l’honneur mondain qu’avec l’entière vertu. M. Arnauld avait beaucoup d’enfants, et de ce nombre plusieurs filles. On destina l’aînée au monde, au mariage ; et pour les deux suivantes, on décida qu’on les placerait de bonne heure en religion, c’est-à-dire qu’on les constituerait en dignité dans le cloître. Le grand-père, M. Marion, tenait surtout à conclure l’affaire avant de mourir ; en aïeul tendre et prévoyant qui s’en va, il voulait user de son grand crédit en tout lieu et de la faveur particulière dont l’honorait Henri IV, pour obtenir ce qui s’accordait alors par une exception assez fréquente, mais ce qui n’était pas moins contre toute règle et contre le scrupuleux esprit de vérité. Il s’agissait de pourvoir ses deux petites-filles, Jacqueline (depuis, la mère Angélique) et Jeanne (depuis, la mère Agnès), âgées l’une de sept ans et demi, l’autre de cinq ans et demi environ, d’une coadjutorerie ou d’une abbaye. En France, l’affaire était assez simple ; le crédit de M. Marion, s’employant d’une part sur l’abbé de Cîteaux, M. de La Croix, qui était, nous dit-on, de bas lieu et de sentiments très-peu élevés, et d’autre part agissant auprès de Henri IV, qui aimait fort son avocat-général

    -croyant. On lit dans le Journal de L’Estoile, à la date de février 1605 : «Le mardi 15 de ce mois, fut mis en terre à Paris l’avocat du roi Marion, homme accort, fin, subtil, déguisé, et qui est mort en réputation d’un des premiers hommes du Palais, des plus habiles et des mieux disans : plus éloquent que pieux, dit quelqu’un : dont le jugement appartient à Dieu, et non aux hommes.»