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PORT-ROYAL.

Au seuil de cette église pour laquelle il avait été ordonné prêtre, où il avait offert son premier sacrifice, et qui depuis près de cinq ans ne l’avait pas revu,[1] son corps, suivi d’un petit nombre d’amis, fut reçu le dimanche 9 janvier, à cinq heures du matin, par une centaine de religieuses en pleurs et plus brillantes de charité que les cierges qu’elles portaient dans leurs mains : on le posa au milieu d’une chapelle ardente.

Il y avait déjà cinq jours qu’il était mort ; il s’agissait de savoir si on oserait ouvrir le cercueil pour revêtir, selon l’usage, le confesseur défunt des habits sacerdotaux. On s’y décida pourtant ; le grand froid avait aidé à la conservation.

«Je fus le premier, nous dit Fontaine à travers ses larmes, qui passai la main dans la bière pour retirer du séjour affreux de la mort un visage qui y avoit déjà passé tant de jours. Dès que l’on eut développé les linceuls et détourné le suaire, on ne méconnut en rien cette face : la paix que la mort y faisoit régner alors étoit semblable à celle que la Grâce y avoit toujours fait régner pendant sa vie ; il sembloit encore respirer cette modestie que sa seule vue imprimoit dans tous les cœurs. J’avoue que mes yeux, aussi bien que ceux de beaucoup d’autres, ne pouvoient se rassasier de voir celui que l’on auroit désiré de toujours voir, et qu’on avoit désespéré de revoir jamais… »
«On le revêtit donc pour la dernière fois de ses habits sacerdotaux. On chanta les Psaumes ordinaires. On fit les aspersions et les encensements, et ensuite on ouvrit les portes du couvent pour nous le laisser porter au lieu qu’on lui avoit préparé au dedans pour sa sépulture. Nous portâmes ce corps[2] au travers d’une longue haie de saintes re-

  1. Il était, pourtant, retourné à Port-Royal une fois en mars 1682 par permission expresse, pour confesser mademoiselle de Vertus, alors très-malade ; mais ç’avait été un retour imperceptible.
  2. Voici les noms des laïques qui portaient le corps : Fontaine, M. Des Touches, MM. Thomas (Du Fossé et de Bosroger), M. François, M. Charles, M. Dessaux et M. Hamon. « Le corps étoit revêtu