Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
371
LIVRE DEUXIÈME

ligieuses qui étoient venues le recevoir à leur porte le cierge à la main Leurs yeux si mortifiés, si accoutumés à se fermer à tout le reste, ne purent, tout mouillés de larmes qu’ils étoient, s’empêcher de s’arrêter sur ce saint corps pendant qu’il passoit seulement au travers d’elles, afin de démêler dans ces petits intervalles que nous leur donnions les traits d’un visage qu’elles ne dévoient plus voir. Elles lui témoignèrent toutes le profond respect qu’elles avoient pour lui par les inclinations que chacune faisoit lorsqu’il passoit devant elles ; et lorsqu’enfin il fut au lieu du repos, les principales s’empressèrent, en l’accommodant pour le descendre dans la fosse, de lui donner de saints baisers, pendant que tout le chœur continuoit le chant avec une gravité que je n’ai pu assez admirer depuis, toutes les fois que j y ai pensé.[1] Il me sembloit que ma joie étoit pour lors cachée en terre avec celui que je voyois enterrer.»

L’abbesse qui présidait à cette cérémonie et qui y donnait le ton, était la mère Angélique de Saint-Jean, cousine germaine de M. de Saci et comme la seconde Angélique de ce second Saint-Cyran. C’est elle qui le lendemain des funérailles, entendant Fontaine se plaindre qu’on eût enlevé trop vite le corps, lui répondit avec un accent profond et d’une voix un peu basse, «qu’il falloit cacher en terre ce qui n’était que terre, et faire rentrer dans le néant ce qui en soi n’était que néant.» Il, le fidèle témoin ajoute : «Qu’elle voyoit de choses en me parlant de la sorte !»

Elle voyait déjà le grand rivage d’au delà ; car si, du-

    d'une chasuble blanche, et il avait dans les mains le calice de M. d’Aleth (Pavillon), qu’on lui ôta en l'enterrant pour lui mettre une croix. »

  1. Nicole on le verra (livre V, chap. VIII), n’approuva point entièrement ces marques de vénération et de tendresse de nos religieuses pour leur cher et parfait directeur ; il y trouvait excès et craignait que le monde n’en prit occasion de railler. Nicole malgré sa renommée extérieure, n’est pas de la droite et étroite lignée intérieure de Port-Royal. Il y avait un sourd et secret antagonisme (en toute amitié et toute charité) entre lui e M. de Saci.