Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et peu riant. Madame de Couaën demeurait pâle, préoccupée, le marquis s'absorbait en silence dans les desseins qu'il venait d'explorer de près, et moi, outre l'inquiétude commune, j'avais mon propre désordre, l'embrasement et la lutte animée sur tous les points intérieurs. Si je m'occupais avec quelque attention des enfants qui seuls n'avaient pas changé en gaieté, mes yeux, rencontrant ceux de madame de Couaën constamment attachés à ces chers objets, y faisaient déborder l'amertume. Dans ce court voyage, si gracieux au départ, et durant lequel rien d'effectif en apparence, rien de matériellement sensible, n'était survenu, que de calme détruit sans retour, que d'illusions envolées ! Infirmité de nos vues et de nos désirs ! un peu plus d'éclaircissement çà et là, un horizon plus agrandi sous nos regards, suffisent pour tout déjouer.

Cette tristesse pourtant n'était, à vrai dire, dans notre cas qu'un pressentiment troublé qui anticipait de peu sur les choses, comme en mer la couleur changée des eaux qui annonce l'approche des fonds dangereux. Les événements bien vite la justifièrent. En arrivant à Couaën fort avant dans le soir, nous apprîmes que plusieurs détachements de soldats s'étaient répandus depuis quelques jours, sur les côtes voisines et que la nôtre, celle de Saint-Pierre-de-Mer, venait elle-même d'être occupée : il paraissait qu'ayant eu vent des débarquements projetés, on les voulait prévenir. Mais, en cet instant, je pus à peine m'enquérir des détails : un mot pour moi, apporté dans le courant de cette dernière journée, me marquait que mon oncle, atteint de paralysie, n'avait probablement que peu d'heures à vivre. Je repartis à cheval avant de m'être assis au salon,