Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/17

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garde, à chaque fois, de mécomptes amers et de regrets ; mais qu’y faire ? Elle a rompu son lien qui la refoulait aux parties inférieures et inconnues ; elle a saisi votre chair, elle flotte dans votre sang, serpente en vos veines, scintille et nage au bord de vos yeux ; un regard échangé où elle se mêle suffit à déjouer les plus austères promesses. C’est là votre mal. Le premier entraînement a fait place à l’habitude, et l’habitude, après quelque durée, et quand aucune violence analogue à l’âge ne la motive plus s’appelle un vice. Vous sentez la pente, et lentement vous y glissez. Hâtez-vous de vous relever, mon ami, il le faut, et vous le pouvez en le voulant. Sevrez-vous une fois et vous admirerez combien il vous est concevable de guérir. Je n’ai pas toujours été tel moi-même que vous me voyez : Avant d’arriver à la base solide, au terme des erreurs et au développement de mes faibles facultés dans un but plus conforme au dessein suprême, – avant cette ardeur décidée pour le vrai dont vous faites honneur à ma nature, et cette existence rude, active et pourtant sereine, qui ne m’est pas venue par enchantement, j’ai vécu, mon jeune ami, d’une vie sans doute assez pareille à la vôtre ; j’ai subi, comme vous un long et lâche malaise provenant de la même cause : les accidents particuliers qui en ont marqué et changé le cours ressemblent peut-être à votre cas plus que vous ne le croyez. Quand on a un peu vieilli et comparé, cela rabat l’orgueil de voir à quel point le fond de nos destinées en ce qu’elles ont de misérable, est le même. On croit posséder en son sein d’incomparables secrets ; on se flatte d’avoir été l’objet de fatalités singulières et, pour peu que le cœur des autres le cœur de ceux qui nous coudoient dans la rue, s’ouvre à nous on s’étonne d’y apercevoir des misères toutes semblables des combinaisons équivalentes. Au point de départ, dans l’essor commun d’une même génération de jeunesse, il semble, à