Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/197

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qui il en avait parlé. L'ordre passerait comme mesure de rigueur, mais c'en était une, selon lui, de précaution et de prudence. Je jugeais tout à fait en ce sens, et avec plus de motifs encore. Je n'hésitai pas à le presser de rendre au marquis et à nous cet inappréciable service. Il fut convenu qu'il tâcherait de faire signer dès le soir même l'ordre de translation exécutoire d'ici à cinq jours. Et moi je raccourus tout d'un trait en avertir le marquis et y préparer madame de Couaën.

Le marquis reçut la nouvelle sans s'étonner, bien qu'avec un débordement d'amertume. Comme je lui faisais remarquer l'importance pour lui de n'être pas actuellement impliqué dans une action judiciaire : “ C'est bien, C'est bien, me dit-il ; eh ! ne faut-il pas que le destin continue ?

N'être rien en rien, ne laisser son nom nulle part derrière soi, pas même au greffe du tribunal ! Il y a une parodie, savez-vous, du Capitole et de la Roche Tarpéienne des Anciens, c'est de tomber à la sourdine d'un pigeonnier sur un fumier. " Je le ramenais aux apprêts et aux arrangements du départ ; je lui exposai, un peu en tremblant, qu'il me serait difficile d'être moi-même de ce prochain voyage.

Sans deviner toutes mes raisons, il en prévint quelques unes telles que l'utilité dont je pouvais lui être en restant et l'intérêt de ma présence, ne fût-ce que pour nous tenir au courant de nos braves amis : " Après quelques semaines qui nous paraîtront bien longues, ajouta-t-il avec un sourire abattu, vous viendrez, j'y compte, rejoindre les exilés. ” Madame de Couaën fut plus rebelle à convaincre ; aux premiers mots que je lui apportai du départ : “ C'est un salut, s'écria-t-elle, c'est la délivrance : partons au plus tôt ; voilà le commencement de notre rêve.” Elle ne concevait rien à mon air peu joyeux ; les raisons du retard la touchaient très vaguement, et il fallut, à la fin que j'exagérasse le péril du marquis pour la faire consentir à mon