Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le Jardin des Plantes, le Collège de France, la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Vers deux heures seulement, quitte du Novum Organum ou des récents écrits de Bichat, des Sentiments moraux d'Adam Smith ou des Entretiens métaphysiques de Malebranche, je raccourais à la maison de la Chaussée-d'Antin ou d'Auteuil, vers cette Herminie pensive que je comparais à celle du Tasse, dont en effet elle portait le nom, son caprice, pour le reste du temps, disposait de moi. Souvent nous restions au logis, même par les plus engageants soleils de mai ; elle aimait peu la campagne, quoiqu'elle se hâtât d'y être, et quand j'arrivais, ayant parfois déjà dîné, je la trouvais encore, les pieds assoupis, les sourcils doucement obscurs, ses demi-jours baissés et dans les voiles du matin.

Mais ce n'était pas comme chez madame de Couaën une vague et montante rêverie, dont un lac mystérieux pouvait seul donner l'image : en y regardant mieux chez madame R., cette langueur se composait d'une multitude de petites tristesses positives, de petits désirs souffrants et de piqûres mal fermées sur mille points. Elle avait regret au monde, elle portait envie aux situations entourées d'hommages ; elle jugeait la sienne médiocre et trop inférieure à celle de tant d'autres à qui elle avait tout droit de s'égaler.

Naturellement peut-être, et si elle s'était vue dès l'abord plus consolée dans ses affections, elle aurait moins ajouté de prix à ces vanités d'apparences mais leurs misères avaient eu le temps de filtrer goutte à goutte dans sa solitude, comme les pluies à travers un toit peu habité, et elles y avaient creusé de lents sillons et des taches humides.

Du seuil de cette vie de silence et d'ombre, elle était donc secrètement jalouse de se produire, de regagner son rang de jeunesse et de beauté. Aux parades militaires, aux spectacles et aux soirées, où peu à peu, et de plus en plus, nous allâmes, je lui voyais des velléités de s'épanouir,