Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/258

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moi.

Même, chaque fois qu'ainsi vous m'apparaissiez ! Il me semblait en ce moment que, malgré le terme échu des deux années, et quand je devais me prononcer sur son avenir, ce n'était pas d'elle encore que m'entretenait cette personne de sacrifice, ce cœur voué au service des autres et à son propre oubli. C'était de madame de Couaën et des reproches et des hontes de cet abandon. C'était de cette vive peine que me parlait le plus le souvenir de mademoiselle Amélie. Je ne lui prêtais, croyez-le, que des pensées dignes d'elle ; j'interprétais ce qu'elle sentait en vérité, ce qu'elle aurait senti si elle avait tout su ; je croyais par moments l'entendre, qui me disait : " Ah ! pour elle du moins, pour elle, je ne me fusse plainte jamais de mon délaissement, je n'eusse point mugi de vous, à mon ami ; mais elle aussi quittée, elle aussi peut-être en proie à mes douleurs ! Ah ! pitié pour ce sein maternel qui n'a pas de place à cacher de telles angoisses, pitié pour ce front d'épouse qu'aucune ombre suspecte ne doit obscurcir !

Oubli sur moi, pitié et bonheur pour elle, si j'ai encore quelque droit ! ” Dans les dernières lettres du marquis, il était plus question de la santé de sa femme, et les expressions de vague crainte s'y reproduisaient fréquemment. Madame de Cursy m'en parlait sans cesse, et sa petite communauté priait pour la chère absente. Le nom de madame de Couaën, prononcé par hasard dans le monde que je voyais, m'était devenu une cuisante épine et un supplice. Plusieurs fois, des personnes, qui nous avaient aperçus l'an dernier toujours ensemble, s'informaient où en était aujourd'hui une amitié si inséparable, et souvent, quand j'arrivais dans une compagnie, j'entendais qu'on adressait tout bas cette question à madame R., laquelle, au reste, ne manquait pas de me le venir rapporter d'un certain air de dépit, et comme si je lui eusse