Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/303

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bien vengées ; Oh ! que d'essaims amers, que de nuées étouffantes ! que de Didons s'enfuyant taciturnes par les bosquets ! toutes mes allées sont peuplées d'Ombres. ” Cet élan de douloureux conseils s'ajoutant à la sobre et sainte parole de madame de Couaën, cette rencontre précise de deux avis venus de si loin à la fois, me parut un signe non équivoque. Vous permettiez, à mon Dieu, que cet ami si cher, qui m'avait servi de modèle trompeur en quelques endroits de ma chute, fût un des instruments de mon retour ; vous lui aurez tenu compte, dans votre miséricorde, de ce commencement de correction qu'il a opérée en mon cœur ! J'étais allé la veille chez madame R. ; je résolus d'y être allé pour la dernière fois. Le lendemain matin, je lui écrivis qu'elle ne s'étonnât pas de ne me point voir, qu'une affaire imprévue me retiendrait sans relâche tous les jours suivants ; elle me répondit à l'instant même, avec inquiétude ; elle envoya auprès de moi s'informer de ma santé et du motif. Je fus poli dans mes réponses, mais j'éludai ; je parlai vaguement d'une brusque circonstance survenue, d'un voyage probable en Bretagne ; elle comprit alors, elle n'écrivit plus ; je ne la revis pas. M. R., s'il lut mes lettres, à quelques mots que j'y laissai percer, dut croire qu'un accès de dévotion m'avait pris, et put s'expliquer par là cet évanouissement bizarre. Madame R. sortait peu, et, à moins de secousse artificielle, vivait volontiers tout le jour dans ses tièdes ennuis ; j'évitai sa rue, son quartier, les promenades où je savais qu'elle s'asseyait quelquefois ; je ne l'ai jamais depuis rencontrée, - non, pas même au jour tombant, pas même dans l'incertitude de l'ombre ! Plus tard deux ou trois ans après il me revint que M. R. avait obtenu un haut poste dans la magistrature. Une fois (j'étais prêtre déjà), une personne bavarde, que j'avais connue chez eux, et qui me parla, en m'abordant, comme si je n'avais cessé de les voir