Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/392

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ruiné de Jupiter et de la voie triomphale interrompue, et les deux beaux lacs assez proches de là à nos pieds, nos destinées, mon ami, se rencontrèrent. Je vous surpris seul, immobile, occupé à admirer ; en face, le couchant élargi et ses flammes, débordant la mer à l'horizon, noyaient confusément les plaines romaines et doraient, seule visible entre toutes, la coupole éternelle. Une larme lumineuse baignait vos yeux ; je m'approchai de vous sans que vous fissiez attention, ravi que vous étiez dans l'espace et aveuglé de splendeurs. Puis cependant je vous adressai la parole, et nous causâmes, et tout d'abord votre esprit en fleur me charma. Après quelques causeries semblables des jours suivants, je compris vite quels étaient votre faible et votre idole, vos dangers et vos désirs. Je vis en vous comme un autre moi-même, mais jeune, à demi inexpérimenté encore, avant les amertumes subies, à l'âge de l'épreuve, et capable peut-être de bonheur ; je me pris alors de tendresse et de tristesse ; ce cœur, qui se croyait fermé pour jamais aux amitiés nouvelles, s'est rouvert pour vous.

Vous vous êtes quelquefois étonné, quand vous m'avez mieux connu, mon ami, que je n'eusse jamais essayé de saisir et d'exercer une influence régulière, et de me faire une place évidente, par des écrits, par la prédication ou autrement, dans les graves questions morales et religieuses qui ont partagé et partagent notre pays. Cet éloignement de ma part, sans rien dire des talents qu'il aurait fallu, a tenu à deux causes principales. La première, c'est que n'ayant jamais abordé votre monde actif de ces dernières années à son milieu, l'ayant observé plutôt en dehors, de loin, par delà l'Atlantique durant ces trois années de séjour, ou du sein des places désertes de Rome, le long des murs des monastères et dans l'isolement de mes anciennes douleurs, j'ai cru voir que le monde vrai était bien autrement