Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/393

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vaste et rebelle à mener qu'on ne se le figure d'ordinaire en vivant au centre d'un tourbillon ; et j'ai beaucoup retranché en idée à l'importance de ce qui occupait le plus éperdument chez vous, et par conséquent aussi à l'influence prétendue gouvernante de telles ou telles voix dans la mêlée. En second lieu, j'ai douté toujours que cette influence publique, bruyante, hasardée, où se glissent tant d'ingrédients suspects, tant de vains mobiles, fût la plus salutaire. Il m'est arrivé dans mes sentiers divers et dans mes détours errants, souvent, par exemple, au sein de ces Ordres religieux que le monde croit morts et qu'il méprise, - il m'est arrivé de découvrir tant d'intelligences et d'âmes à peu près inconnues, sans éclat, sans scène extérieure, mais utiles, profondes, d'une influence toute bonne, certaine, continue, précieuse à ce qui les entoure, que j'en suis revenu à mes doutes sur la prédominance avantageuse des meneurs les plus apparents. Mon vœu secret et cher aurait donc été de prendre rang devant Dieu parmi ces existences assez obscures mais actives, parmi ce peuple çà et là répandu des bienfaiteurs sans nom. Les plus belles âmes sont celles, me disais-je, qui, tout en agissant, approchent le plus d'être invisibles, de même que le verre le plus parfait est celui qui laisse passer l'entière lumière sans en garder une part, sans avertir par mille couleurs pompeuses qu'il est là.

En des temps si agités et du seuil d'une vie qui observe, je n'ai pu éviter de subir, dans certaines régions secondaires de mes perspectives, des variations que l'âge seul, à défaut des vicissitudes et des bouleversements d'alentour, suffirait à apporter. J'y ai appris à me défier de mon opinion du jour même, puisque celle d'hier s'était déjà sensiblement modifiée, et à être peu pressé de jeter aux autres, dans l'application passagère, ce dont peut-être demain je devrai me détacher ou