Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/394

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me repentir. Les variations, qui se font ainsi graduelles et lentes et silencieuses en nous, ont une douceur triste et tout le charme d'un adieu, tandis que, si elles ont lieu avec éclat devant des témoins qui nous les reprochent, elles deviennent blessantes et dures. Dans la période de jeunesse et d'ascension impétueuse, on est rude et vite méprisant envers tout ce qu'on réprouve après l'avoir cru et aimé. La pierre où la veille on a posé sa tête sert presque aussitôt de degré inférieur pour monter plus haut, et on la foule, on la piétine d'un talon insultant. Que plus tard du moins, dans l'âge mûr, à l'heure où déjà l'on redescend la colline, cette pierre, où l'on vient de s'asseoir et qu'on laisse derrière, ne soit plus insultée par nous ; et que, si on se retourne vers elle, si on la touche encore au détour avant de s'en détacher, ce soit de la main pour la saluer amicalement, des lèvres pour la baiser une dernière fois !

Quant aux croyances essentielles, en ces années d'attaque et de diversité sur toutes choses, n'ai-je pas eu des ébranlements plus graves, mes heures d'agonie et de doute où j'ai dit : “ Mon Père, pourquoi m'avez-vous délaissé ? ” On n'échappe jamais entièrement à ces heures ; elles ont leurs accès de ténèbres jusqu'au cœur de la foi ; elles sont du temps de Job, du temps du Christ, du temps de Jérôme, du temps de saint Louis comme du nôtre ; même à genoux sur le saint rocher, on redevient plus vacillant que le roseau. Je n'ai pas été exempt non plus d'assauts fréquents dans ces plaies particulières que vous m'avez vu si en peine de fermer, et qui, à certains moments, se remuaient, - se remuent toujours. Ceci encore est l'effort intérieur, le combat quotidien de chaque mortel. Mais, toutes les fois que je me laissais davantage aller aux controverses du jour et à y vouloir jeter mon opinion et mes pensées, j'en venais, par une dérivation insensible, à perdre le sentiment