Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/74

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et les sens, de même il y a au-dehors deux sortes de beauté pour y correspondre. La vraie beauté, plus ou moins mêlée, plus ou moins complète, est souvent difficile à sentir dans ce qu'elle a de pur ; elle nous apparaît tard ; tout ainsi que l'amour vrai en nous est lent à se séparer. L'enfant ne comprend pas la beauté : quelques couleurs rouges et brillantes qui jouent vivement à son oeil, lui en composent une bizarre image. L'adolescent, qui la poursuit et l'adore, s'y méprend presque toujours ; dans sa fougue aveugle, impétueuse, on le voit embrasser à genoux les pierres grossières des chemins, comme il ferait les statues de porphyre de la déesse. Il faut le plus souvent que les sens soient déjà un peu émoussés pour que le sentiment distinct de la beauté nous vienne. heureux alors qui sait apprécier cette beauté tardive, qui s'y voue encore à temps et se crée un cœur digne de la réfléchir ! Le voluptueux, qui sent la beauté et qui la goûte, en est le fléau ; il la profane de son hommage ; il ne tend qu'à la dégrader et à l'obscurcir ; au lieu de s'élever par elle, il jouit de la rabaisser aux amours lascives, il la précipite à jamais et la sacrifie. La noble beauté, au contraire, quand l'âme qui l'habite est demeurée fidèle à son principe, ne périra pas avec cette enveloppe terrestre ; elle méritera de persister ailleurs, rectifiée selon le vrai, épurée selon l'amour, et sous cette forme nouvelle qui ne changera plus, il sera permis encore à qui la servait ici-bas de continuer de l'aimer ; nous avons besoin d'espérer cela, et rien, à mon Dieu ! ne nous interdit de le croire.

Tout novice, tout indigne que j'étais alors et si je ne me rendais pas compte aussi nettement de ces distinctions je les pressentais en partie, du moins en sa présence. Je faisais des progrès chaque jour dans l'intelligence de cette âme tout intérieure et de la forme achevée qui me l'exprimait.

Je saisissais de plus en