Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/216

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talens et de la bonne éducation. Voilà, je crois, la distinction qui servira à la chute des priviléges, justement abolis, et l’égalité rêvée par nos philosophes ne sera possible que lorsque tous les hommes auront reçu une culture qui pourra les rendre agréables et sociables les uns pour les autres. Tu t’effrayais de me voir soldat, pensant que je serais forcé de vivre avec des gens grossiers.

« D’abord figure-toi qu’il n’y a pas tant de gens grossiers qu’on le pense, que c’est une affaire de tempérament, et que l’éducation ne la détruit pas toujours chez ceux qui sont nés rudes et désobligeans. Je pense même que le vernis de la politesse donne à ces caractères-là les moyens d’être encore plus blessans que ne le sont ceux qui ont pour excuse l’absence totale d’éducation. Ainsi j’aimerais mieux vivre avec certains conscrits sortant de la charrue qu’avec M. de Caulaincourt, et je préfère beaucoup le ton de nos paysans du Berri à celui de certains grands barons allemands. La sottise est partout choquante, et la bonhomie, au contraire, se fait tout pardonner. Je conviens que je ne saurais me plaire longtemps avec les gens sans culture. L’absence d’idées chez les autres provoque chez moi, je le sens, un besoin d’idées qui me ferait faire une maladie. Sous ce rapport, tu m’as gâté, et si je n’avais eu la ressource de la musique qui me jette dans une ivresse à tout oublier,