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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/139

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c’était pour moi un fait incompréhensible. J’avais des rêves bizarres, des élans d’imagination qui me donnaient la fièvre et remplissaient mon sommeil de fantômes. Ce fut alors qu’une singulière fantaisie, qui m’est restée longtemps après, commença à s’emparer de mon cerveau excité par les récits et les commentaires qui frappaient mes oreilles. Je me figurais, à un certain moment de ma rêverie, que j’avais des ailes, que je franchissais l’espace, et que, ma vue plongeant sur les abîmes de l’horizon, je découvrais les vastes neiges, les steppes sans fin de la Russie blanche ; je planais, je m’orientais dans les airs, je découvrais enfin les colonnes errantes de nos malheureuses légions ; je les guidais vers la France, je leur montrais le chemin, car ce qui me tourmentait le plus, c’était de me figurer qu’elles ne savaient où elles étaient et qu’elles s’en allaient vers l’Asie, s’enfonçant de plus en plus dans les déserts, en tournant le dos à l’Occident. Quand je revenais à moi-même, je me sentais fatiguée et brisée par le long vol que j’avais fourni, mes yeux étaient éblouis par la neige que j’avais regardée ; j’avais froid, j’avais faim, mais j’éprouvais une grande joie d’avoir sauvé l’armée française et son empereur.

Enfin, vers le 25 décembre, nous apprîmes que Napoléon était à Paris. Mais son armée restait derrière lui, engagée encore pour deux mois dans une retraite horrible, désastreuse. On ne sut