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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/140

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officiellement les souffrances et les malheurs de cette retraite qu’assez longtemps après. L’empereur à Paris, on croyait tout sauvé, tout réparé. Les bulletins de la grande armée et les journaux ne disaient qu’une partie de la vérité. Ce fut par les lettres particulières, par les récits de ceux qui échappèrent au désastre, qu’on put se faire une idée de ce qui s’était passé.

Parmi les familles que ma grand’mère connaissait, il y eut un jeune officier qui était parti à seize ans pour cette terrible campagne. Il grandit de toute la tête au milieu de ces marches forcées et de ces fatigues inouïes. Sa mère, n’entendant plus parler de lui, le pleurait. Un jour, une espèce de brigand, d’une taille colossale et bizarrement accoutré, se précipite dans sa chambre, tombe à ses genoux et la presse dans ses bras. Elle crie de peur d’abord et bientôt de joie. Son fils avait près de six pieds[1]. Il avait une longue barbe noire, et en guise de pantalon, un jupon de femme, la robe d’une pauvre vivandière tombée gelée au milieu du chemin.

Je crois que c’est ce même jeune homme qui eut peu de temps après un sort pareil à celui de mon père. Sorti sain et sauf des extrêmes périls de la guerre, il se tua à la promenade ; son cheval emporté vint se briser avec lui contre le timon

  1. On assurait qu’il avait grandi d’un pied pendant la campagne.