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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/203

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raisonner. Elles avaient l’intolérance de la passion. Elles vouaient à la haine la plus tenace et la plus étroite tout ce qui osait regretter le Corse, sans songer que la veille encore elles avaient frayé sans répugnance avec son cortége. Jamais on n’a vu tant de petitesses, tant de commérages, tant d’accusations, tant d’aversions, tant de dénonciations.

Heureusement nous étions loin des foyers de l’intrigue. Les lettres que recevait ma grand’mère nous en apportaient seulement un reflet, et Deschartres se livrait à des déclamations souverainement absurdes contre le tyran, auquel il n’accordait même pas une intelligence ordinaire. Quant à moi, j’entendais dire tant de choses que je ne savais plus que penser. L’empereur Alexandre était le grand législateur, le philosophe des temps modernes, le nouveau Frédéric le Grand, l’homme de génie par excellence. On envoyait son portrait à ma grand’mère et elle me le donnait à encadrer. Sa figure, que j’examinai avec grande attention, puisqu’on disait que Bonaparte n’était qu’un petit garçon auprès de lui, ne me toucha point. Il avait la tête lourde, la face molle, le regard faux, le sourire niais. Je ne l’ai jamais vu qu’en peinture, mais je présume que parmi tant de portraits répandus alors en France à profusion, quelques-uns ressemblaient. Aucun ne m’inspira de sympathie, et malgré moi je me rappelais toujours les beaux