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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/239

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disant brillante. Heureusement, il se glissait quelquefois à son insu de petits diamans dans ce fatras, des sonatines de Steibelt, des pages de Gluck, de Mozart, et de jolies études de Pleyel et de Clementi. La preuve que j’avais un bon sentiment musical, c’est que je discernais fort bien de moi-même ce qui valait la peine d’être étudié, et j’y portais un certain sentiment naïf qui plaisait à ma grand’mère, mais dont M. Gayard ne me tenait aucun compte. Il frappait fort et jouait carrément, sans nuances, sans couleur et sans cœur. C’était exact, correct, bruyant, sans charme et sans élévation. Je le sentais, et je haïssais sa manière. Avec cela, il avait de grosses pattes laides, velues, grasses et sales qui me répugnaient, et une odeur de poudre mêlée à une odeur de crasse qui me faisait paraître ma leçon insupportable. Ma grand’mère devait bien savoir que c’était là un maître sans valeur et sans âme ; mais elle pensait que j’avais besoin de me délier les doigts, et comme les siens étaient de plus en plus paralysés, elle me donnait M. Gayard comme une mécanique. En effet, M. Gayard m’apprenait à remuer les doigts, et il me donnait à lire beaucoup de musique, mais il ne m’enseignait rien. Jamais il ne me demanda de me rendre compte à moi-même du ton dans lequel était écrit le morceau qu’il me faisait jouer, ni du mouvement, encore moins du sentiment et de la pensée musicale. Il me fallait deviner