Aller au contenu

Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une partie de ma journée était charmant (il l’est encore), et c’est là que mon roman venait en plein me trouver. Quoique ce verger fût bien assez joli par lui-même, je ne le voyais pas précisément tel qu’il était. Mon imagination faisait d’une butte de trois pieds une montagne, de quelques arbres une forêt, du sentier qui allait de la maison à la prairie le chemin qui mène au bout du monde, de la mare bordée de vieux saules un gouffre ou un lac, à volonté ; et je voyais mes personnages agir, courir ensemble, ou marcher seuls en rêvant, ou dormir à l’ombre, ou danser en chantant dans ce paradis de mes songes creux. La causette de Marie et de Solange ne me dérangeait nullement. Leur naïveté, leurs occupations champêtres ne détruisaient rien à l’harmonie de mes tableaux, et je voyais en elles deux petites nymphes déguisées en villageoises et préparant tout pour l’arrivée de Corambé qui passerait par là un jour ou l’autre et les rendrait à leur forme et à leur destinée véritables.

D’ailleurs quand elles parvenaient à me distraire et à faire disparaître mes fantômes, je ne leur en savais pas mauvais gré, puisque j’arrivais à m’amuser pour mon propre compte avec elles. Quand j’étais là, les parens se montraient fort tolérans sur le temps perdu, et bien souvent nous laissions quenouilles, moutons ou corbeilles pour nous livrer à une gymnastique échevelée,