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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/275

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tous les instans, et qui s’engageaient parfois avec mes meilleurs amis. Cela me serrait le cœur, et, quand je le disais à ma grand’mère, elle me donnait de l’argent pour que je pusse, en cachette de Deschartres, aller rembourser les frais de l’amende au délinquant, ou porter de sa part les paroles de grâce.

Mais ce rôle ne me plaisait pas non plus : il était loin de satisfaire mon idéal d’égalité fraternelle. En faisant grâce à ces villageois, il me semblait que je les rabaissais dans mon propre cœur. Leurs remercîmens me blessaient, et je ne pouvais pas m’empêcher de leur dire que je ne faisais là qu’un acte de justice. Ils ne me comprenaient pas. Ils s’avouaient coupable dans la personne de leurs enfans, mauvais gardiens du petit troupeau. On voulait les battre en ma présence pour me donner satisfaction ; cela m’était odieux, et véritablement, me sentant devenir chaque jour artiste avec des instincts de poésie et de tendresse, je maudissais le sort qui m’avait fait naître dame et châtelaine contre mon gré. J’enviais la condition des pastours. Mon plus doux rêve eût été de m’éveiller un beau matin sous leur chaume, de m’appeler Naniche ou Pierrot, et de mener mes bêtes au bord des chemins, sans souci de M. L’Homond et compagnie, sans solidarité avec les riches, sans appréhension d’un avenir qu’on me présentait si compliqué, si difficile à soutenir et si antipathique à mon