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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/276

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caractère. Je ne voyais dans cette petite fortune qu’on voulait me faire compter et recompter sans cesse, qu’un embarras dont je ne saurais jamais me tirer, et je ne me trompais nullement.

En dépit de mon goût pour le vagabondage, une sorte de fatalité me poussait au besoin de cultiver mon intelligence, malgré la conviction où j’étais que toute science était vanité et fumée. Même au milieu de mes plus vifs amusemens champêtres, il me prenait un besoin de solitude et de recueillement ou une rage de lecture, et, passant d’un extrême à l’autre après une activité fiévreuse, je m’oubliais dans les livres pendant plusieurs jours, et il n’y avait pas moyen de me faire bouger de ma chambre ou du petit boudoir de ma grand’mère ; de sorte qu’on était bien embarrassé de définir mon caractère, tantôt dissipé jusqu’à la folie, tantôt sérieux et morne jusqu’à la tristesse.

Deschartres s’était beaucoup radouci depuis que mon frère n’était plus là pour le faire enrager. Il se plaisait souvent aux leçons que je prenais bien ; mais l’inconstance de mon humeur ramenait de temps en temps les bourrasques de la sienne, et il m’accusait de mauvaise volonté quand je n’avais réellement qu’une fièvre de croissance. Il me menaça quelquefois de me frapper, et, comme ces sortes d’avertissemens sont déjà un fait à demi accompli, je me tenais sur mes gardes, résolue à ne pas souffrir de lui