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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/312

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assise sur une pierre à sa porte, tandis qu’elle couchait ses petits enfans et disait ses prières. Son chien efflanqué (tout paysan, si pauvre qu’il soit, a un chien, ou plutôt une ombre de chien qui vit de maraude, et n’en défend pas moins le misérable logis où il n’est pas même abrité) ; son chien, après m’avoir beaucoup grondée, s’apprivoisa à la vue de mon pain et vint partager ce modeste souper.

Jamais repas ne m’avait semblé si bon, jamais heure plus douce et nature plus sereine. J’avais le cœur libre et léger, le corps dispos comme on l’a après le travail. Je mangeais le pain du pauvre après avoir fait la tâche du pauvre. « Et ce n’est pas une bonne action, comme on dit dans le vocabulaire orgueilleux des châteaux, pensais-je, c’est tout bonnement un premier acte de la vie de pauvreté que j’embrasse et que je commence. Me voici enfin libre : plus de leçons fastidieuses, plus de confitures écœurantes qu’il faut trouver bonnes sous peine d’être ingrate, plus d’heures de convention pour manger, dormir, et s’amuser sans envie et sans besoin. La fin du jour a marqué celle de mon travail. La faim seule m’a sonné l’heure de mon repas : plus de laquais pour me tendre mon assiette et me l’enlever à sa fantaisie. À présent voici les étoiles qui viennent, il fait bon, il fait frais : je suis lasse et je me repose, personne n’est là pour me dire : « Mettez votre châle, ou rentrez, de crainte de