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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/342

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même pour la vue. Il n’était pas une de nous qui eût jamais songé à franchir seule la porte de l’appartement de sa mère : presque toutes cependant épiaient au couvent l’entrebâillement de la porte du cloître, ou glissaient des regards furtifs à travers les fentes des toiles de croisées. Déjouer la surveillance, descendre deux ou trois degrés de la cour, apercevoir un fiacre qui passait, c’était l’ambition et le rêve de quarante ou cinquante filles folâtres et moqueuses, qui, le lendemain, parcouraient tout Paris avec leurs parens sans y prendre le moindre plaisir, fouler le pavé et regarder les passans n’étant plus le fruit défendu hors de l’enceinte du couvent.

Durant ces trois années, mon être moral subit des modifications que je n’aurais jamais pu prévoir, et que ma grand’mère vit avec beaucoup de peine, comme si en me mettant là elle n’eût pas dû les prévoir elle-même. La première année, je fus plus que jamais l’enfant terrible que j’avais commencé d’être, parce qu’une sorte de désespoir ou tout au moins de désespérance dans mes affections me poussait à m’étourdir et à m’enivrer de ma propre espièglerie. La seconde année, je passai presque subitement à une dévotion ardente et agitée. La troisième année je me maintins dans un état de dévotion calme, ferme et enjouée. La première année, ma grand’mère me gronda beaucoup dans ses lettres. La seconde, elle s’effraya de ma dévotion