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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/35

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ma pauvre enfant, car ce sera votre seul bonheur en ce monde. » Cette espèce de prophétie me fit quelque impression. — « Je serai donc malheureuse ? lui dis-je. — Oui, me répondit-elle. Tout le monde est condamné au chagrin ; mais vous en aurez plus qu’une autre, et souvenez-vous de ce que je vous dis ; soyez bonne, parce que vous aurez beaucoup à pardonner. — Et pourquoi faudra-t-il que je pardonne ? lui demandai-je encore. — Parce que vous éprouverez à pardonner le seul bonheur que vous devez avoir. »

Avait-elle dans l’âme quelque secret chagrin qui la faisait parler ainsi d’une manière générale ? Je ne le pense pas ; elle devait être heureuse, car elle était adorée de sa famille. Je croirais pourtant assez qu’elle avait été brisée dans sa jeunesse par quelque peine de cœur, qu’elle n’avait jamais révélée à personne, ou bien comprenait-elle, avec son bon et noble cœur, combien j’aimais ma mère et combien j’aurais à souffrir dans cette affection ?

Mme de Béranger et Mme de Ferrières étaient toutes deux si infatuées de leur noblesse que je ne saurais laquelle nommer la première pour l’orgueil et les grands airs. C’étaient bien les meilleurs types de vieilles comtesses dont ma mère pût se divertir. Elles avaient été fort belles toutes les deux, et fort vertueuses, disaient-elles, ce qui ajoutait à leur morgue et à leur raideur. Mme