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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/535

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plus morte que vive ; le lendemain et les jours suivans, il lui échappait un cri strident, au milieu de ses méditations ou de ses études ; elle promenait des yeux hagards autour d’elle, elle était comme poursuivie par un spectre.

Comme elle ne s’expliquait pas, nous attribuâmes d’abord cette commotion physique au chagrin ; mais pourquoi ce chagrin violent, puisqu’elle n’était pas plus liée d’amitié particulière avec la mère Alippe que la plupart d’entre nous ? Elle m’expliqua ce qu’elle souffrait aussitôt que nous fûmes seules : sa chambre n’était séparée que par une mince cloison de l’alcôve de la petite infirmerie, où la mère Alippe était morte. Pendant toute la nuit, elle avait, pour ainsi dire, assisté à son agonie. Elle n’avait pas perdu un mot, un gémissement de la moribonde, et le râle final avait exercé sur ses nerfs irritables un effet sympathique. Elle était forcée de se faire violence pour ne pas l’imiter en racontant cette nuit d’angoisses et de terreurs. Je fis mon possible pour la calmer ; nous avions une prière à la Vierge qu’elle aimait à dire avec moi dans ces heures de souffrance morale. C’était une prière en anglais qui lui venait de sa chère madame de Borgia, et qu’il ne fallait pas dire seule, selon la pensée fraternelle du christianisme primitif, exprimée par cette parole : « Je vous le dis, en vérité, là où vous serez trois réunis en mon nom, je serai au milieu de vous. » Faute d’une troisième compagne