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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/593

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Mon frère retourna à son régiment. Le vieux chevalier de Lacoux, qui était venu nous voir et qui me faisait beaucoup travailler la harpe, nous quitta aussi. Je restai seule à Nohant, pendant tout l’hiver, avec ma grand’mère et Deschartres.

Jusqu’à ce moment, malgré l’agréable compagnie de ces divers hôtes, j’avais lutté en vain contre une profonde mélancolie. Je ne pouvais pas toujours la dissimuler, mais jamais je n’en voulus dire la cause, pas même à Pauline ou à mon frère, qui s’étonnaient de mon abattement et de mes préoccupations. Cette cause, que je laissais attribuer à une indisposition maladive ou à un vague ennui, était bien claire en moi-même : je regrettais le couvent. J’avais le mal du couvent ou le mal du pays. Je ne pouvais pas m’ennuyer, ayant une vie assez remplie ; mais je sentais tout me déplaire, quand je comparais même mes meilleurs momens aux placides et régulières journées du cloître, aux amitiés sans nuage, au bonheur sans secousse que j’avais à jamais laissés derrière moi. Mon âme, déjà lassée dès l’enfance, avait soif de repos, et là seulement j’avais goûté, après les premières émotions de l’enthousiasme religieux, presque une année de quiétude absolue. J’y avais oublié tout ce qui était le passé ; j’y avais rêvé l’avenir semblable au présent. Mon cœur aussi s’était fait comme une habitude d’aimer beaucoup de personnes à la fois