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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/592

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même : car, du jour au lendemain, je ne me reconnais plus, tandis qu’elle disait reconnaître en moi les contrastes de langueur et d’enivrement qui avaient marqué l’adolescence de mon père.

Il est étrange que, m’aimant d’une manière si absolue et si tendre, elle n’ait pas été effrayée de me voir prendre le goût de ce genre de danger. Ma mère n’a jamais pu me voir à cheval sans cacher sa figure dans ses mains et sans s’écrier que je finirais comme mon père. Ma bonne maman répondait par un triste sourire à ceux qui lui demandaient raison de sa tolérance à cet égard par cette anecdote bien connue, mais bien jolie, du marin et du citadin.

« Eh quoi, monsieur, votre père et votre grand-père ont péri sur mer dans les tempêtes, et vous êtes marin ? À votre place, je n’aurais jamais voulu monter sur un navire !

— Et vous, monsieur, comment donc sont morts vos parens ?

— Dans leurs lits, grâce au ciel !

— En ce cas, à votre place, je ne me mettrais jamais au lit ? »

Il m’arriva cependant un jour de tomber juste à la place où s’était tué mon père, et de m’y faire même assez de mal. Ce ne fut point Colette, mais le général Pepe qui me joua ce mauvais tour. Ma grand’mère n’en sut rien. Je ne m’en vantai pas, et remontai à cheval de plus belle.