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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/604

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toute ma vie, elle me faisait respirer pour la première fois. Je pouvais enfin réunir et confondre mes deux mères rivales dans le même amour. À ce moment-là, je sentis que je les aimais également, et je me flattai de leur faire accepter cette idée. Puis, je pensai au mariage, à l’homme de cinquante ans, au prochain voyage de Paris, au monde où l’on menaçait de me produire. Je ne fus effrayée de rien. Pour la première fois j’étais optimiste. Je venais de remporter une victoire qui me paraissait décisive sur le grand obstacle de l’avenir. Je me persuadai que j’avais acquis sur ma grand’mère un ascendant de tendresse et de persuasion qui me permettrait d’échapper à ses sollicitudes pour mon établissement, que peu à peu elle verrait par mes yeux, me laisserait vivre libre et heureuse à ses côtés, et qu’après lui avoir consacré ma jeunesse, je pourrais lui fermer les yeux sans qu’elle exigeât de moi la promesse de renoncer au cloître. « Tout est bien ainsi, pensai-je. Il est fort inutile de la tourmenter de mes secrets desseins. Dieu les protégera. » Je savais qu’Elisa était sortie du couvent, qu’on la menait dans le monde, qu’elle se résignait à aller au bal, et que rien n’ébranlait sa résolution. Elle m’écrivit qu’elle acceptait l’épreuve à laquelle ses parens avaient voulu la soumettre, qu’elle se sentait chaque jour plus forte dans sa vocation, et que nous nous retrouverions peut-être à Cork sous