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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/603

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s d’histoire. Je n’avais pas même la mémoire des mots, et déjà j’oubliais l’anglais, qui naguère m’avait été aussi familier que ma propre langue. Je m’évertuais donc à lire et à écrire, depuis dix heures du soir jusqu’à deux ou trois du matin. Je dormais quatre ou cinq heures. Je montais à cheval avant le réveil de ma grand’mère. Je déjeunais avec elle, je lui faisais de la musique et ne la quittais presque plus de la journée ; car, insensiblement, elle s’était habituée à vivre moins avec Julie, et j’avais pris sur moi de lui lire les journaux ou de rester à dessiner dans sa chambre pendant que Deschartres les lui lisait. Cela m’était particulièrement odieux. Je ne saurais dire pourquoi cette chronique journalière du monde réel m’attristait profondément. Elle me sortait de mes rêves, et je crois que la jeunesse ne vit pas d’autre chose que de la contemplation du passé, ou de l’attente de l’inconnu.

Je me souviens que cette nuit-là fut extraordinairement belle et douce. Il faisait un clair de lune voilé par ces petits nuages blancs que Chateaubriand comparait à des flocons de ouate. Je ne travaillai point, je laissai ma fenêtre ouverte et jouai de la harpe en déchiffrant la Nina de Paesiello. Puis je sentis le froid et me couchai en rêvant à la douceur et à l’épanchement de ma grand’mère avec moi. En donnant enfin la sécurité à mon sentiment filial, et en détournant de moi l’effroi d’une lutte qui avait pesé sur