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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/710

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moins fatiguée ainsi que par le sommeil à petites doses. Parfois, il est vrai, la malade me demandait à deux heures du matin, quand j’étais dans toute la jouissance de mon repos. Elle voulait savoir de moi s’il était réellement deux heures du matin, comme on le lui assurait. Elle ne se calmait qu’en me voyant, et, certaine enfin de la vérité, elle avait encore des paroles tendres pour me renvoyer dormir ; mais il ne fallait guère compter qu’elle ne recommencerait pas à s’agiter au bout d’un quart d’heure, et je prenais le parti de lire auprès d’elle et de renoncer à ma nuit de sommeil.

Ce dur régime ne prenait plus sensiblement sur ma santé : la jeunesse se plie vite au changement d’habitudes ; mais mon esprit s’en ressentit profondément : mes idées s’assombrirent, et je tombai peu à peu dans une mélancolie intérieure que je n’avais même plus le désir de combattre.

Comme Deschartres s’en affligeait, je m’appliquai à lui cacher cette disposition maladive. Elle redoubla dans le silence. Je n’avais pas lu Réné, ce hors-d’œuvre si brillant du Génie du Christianisme, que, pressée de rendre le livre à mon confesseur, j’avais réservé pour le moment où je posséderais un exemplaire à moi. Je le lus enfin, et j’en fus singulièrement affectée. Il me semblait que Réné c’était moi. Bien que je n’eusse aucun effroi semblable au sien dans ma vie réelle, et que je n’inspirasse aucune passion qui pût motiver l’épouvante et l’abatte-