Page:Sand - Journal intime.pdf/108

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passé ; de tous ceux qui étaient là, chacun en a gardé un souvenir différent. Les uns disent qu’il a parlé cinq minutes, les autres une heure. Il est certain qu’il leur a si bien parlé, et qu’il leur a dit de si belles choses, qu’ils sont tous tombés dans une sorte de délire. On n’entendait que cris et sanglots, plusieurs ont eu des attaques de nerfs, d’autres n’ont pu dormir de la nuit. Le comte Plater, en rentrant chez lui, était dans un état d’exaltation si étrange que sa femme l’a cru fou et s’est fort épouvantée. Mais, cependant qu’il lui racontait comme il pouvait, non pas l’improvisation de Mickiewicz (personne n’a pu en redire un mot), mais l’effet de sa parole sur ses auditeurs, la comtesse Plater est tombée dans le même état que son mari et s’est mise à pleurer, à prier et à divaguer. Les voilà tous convaincus qu’il y a dans ce grand homme quelque chose de sur-humain. qu’il est inspiré à la manière des prophètes, et leur superstition est si grande qu’un de ces matins ils pourraient bien en faire un Dieu.

J’ai réussi à savoir quel était le thème sur lequel Mickiewicz a improvisé, c’était celui-ci : vous vous plaignez de ne point être un grand poète, c’est votre faute. Nul ne peut être poète s’il n’a en lui l’amour et la foi. Sur cette idée qui est assez belle, Mickiewicz a pu et dû parler admirablement. Il ne se souvient pas lui-même d’un seul mot de son improvisation, et ses amis