Page:Sand - Journal intime.pdf/118

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endroit peut-on saisir le cœur que défend le mur d’airain, le bouclier de glace du préjugé ? Est-il donc des hommes pour qui sortir du sentier de l’erreur est un effort impossible ? Est-il un âge après lequel l’esprit ne se corrige et ne se modifie plus ? Que les natures lâches et viles, que les âmes basses et corrompues haïssent instinctivement le vrai et le juste, c’est dans l’ordre : mais lorsqu’on voit des cœurs purs et nobles et des esprits qui semblent justes à beaucoup d’égards se fermer devant une démonstration claire et attachante fondée sur une science qu’ils ne peuvent point nier, inspirée par un sentiment dont ils reconnaissent la justice et la grandeur, que doit-on penser de la nature humaine ? Je ne puis croire, semble le dernier mot de ce temps-ci. Faut-il qu’il en suit ainsi dans les desseins de la Providence ? Veut-elle donc détruire jusqu’à la racine de la religion et de la morale du passé qu’il ne puisse point se trouver de milieu entre ceux qui leur restent aveuglément attachés et ceux qui les veulent briser sans en rien garder ? Ou bien les germes de la vérité sont-ils exclusivement jetés dans les âmes populaires, et faut-il que la race qu’on appelle éclairée, périsse avec ses erreurs et ses résistances ? Faut-il encore une fois envoyer les morts enterrer leurs morts ?