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vendredi

Liszt me disait ce soir qu’il n’y avait que Dieu qui méritât d’être aimé. C’est possible, mais quand on a aimé un homme, il est bien difficile d’aimer Dieu. C’est si différent. Il est vrai que Liszt ajoutait qu’il n’a eu de vive sympathie dans sa vie que pour M. de Lamennais, et que jamais un amour terrestre ne s’emparerait de lui.

Il est bien heureux, ce petit chrétien-là.

J’ai vu Henri[1] ce matin. Il m’a dit qu’on n’aimait qu’avec la tête et les sens et que le cœur n’était que pour bien peu dans l’amour. J’ai vu madame Allart [2] à deux heures. Elle m’a dit qu’il fallait ruser avec les hommes et faire semblant de se fâcher pour les ramener. Il n’y a que Sainte-Beuve qui ne m’ait pas fait de mal et qui ne m’ait pas dit de sottise. Je lui ai demandé ce que c’était que l’amour, et il m’a répondu : « Ce sont les larmes ; vous pleurez, vous aimez, »

Oh oui, mon pauvre ami, j’aime ! J’appelle en vain la colère à mon secours. J’aime, j’en mourrai, ou Dieu fera un miracle pour moi. Il me donnera l’ambition littéraire ou la dévotion. Il faut que j’aille trouver sœur Marthe.

  1. Heine ?
  2. Hortense Allart de Méritens