Page:Sand - Journal intime.pdf/22

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boire ta rosée. Elle m’a enivrée, elle m’a empoisonnée et dans un jour de colère, j’ai cherché un autre poison qui m’a achevée. Tu étais trop suave et trop subtil, mon cher parfum, pour ne pas t’évaporer chaque fois que mes lèvres t’aspiraient. Les beaux arbrisseaux de l’Inde et de la Chine plient sur une faible tige et se courbent au moindre vent. Ce n’est pas d’eux qu’on tirera des poutres pour bâtir des maisons. On s’abreuve de leur nectar, on s’entête de leur odeur, on s’endort et on en meurt.

Ensuite, je hais ces hommes forts qui mentent et qui frappent grossièrement et lâchement dans leur colère, ces vantards qui bâtissent tout un système de vertu sur un crime. Mais le crime, quand on le commet, on ne sait pas ce que c’est. C’est le lendemain, c’est le hasard qui en fait une chose sainte ou une action détestable. J’ai vu une malheureuse fille qui s’est mise à genoux, après avoir tué son enfant, et qui s’écria : « Mon Dieu, je vous remercie de m’avoir donné le courage de tuer cette misérable petite créature destinée à tant souffrir si elle eût vécu. » Elle monta à l’échafaud avec les sentiments d’une martyre. Dites donc des grands mots et faites des phrases ! Fais-en toi-même, malheureuse femme qui écris sans savoir quoi, et qui ne sais rien, rien, sinon que tu aimes à en mourir !