Page:Sand - Journal intime.pdf/26

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Décidément la musique fait du mal, et c’est si bête, un théâtre. Que toutes ces figures-là sont stupides. Tout le monde a l’air tranquille, indiffèrent. Il y en a qui ont l’air content et moi j’ai une vipère qui me mange le cœur. Me voilà en bousingot, seul, désolé d’entrer au milieu de ces hommes noirs. Et moi aussi je suis en deuil. J’ai les cheveux coupés, les yeux cernés, les joues creuses, l’air bête et vieux. Et là-haut, il y a toutes ces femmes blondes, blanches, parées, couleur de rose : des plumes, des grosses boucles de cheveux, des bouquets, des épaules nues. Et moi, où suis-je, pauvre George ?

Voilà, au-dessus de moi, le champ où Fantasio ira cueillir ses bluets. Ah, pauvre jeune homme, pourquoi ne peux-tu pas m’aimer ? Je sais bien que cela est juste suivant la raison, suivant la justice humaine. Mais vous, mon Dieu, mon Dieu ! vous, savez-vous si quelqu’une d’elles l’aimera jamais comme je l’aime aujourd’hui !

Insensé, tu me quittes dans le plus beau moment de ma vie, dans le jour le plus vrai, le plus passionné, le plus saignant de mon amour ! N’est-ce rien que d’avoir maté l’orgueil d’une femme et de l’avoir jeté à tes pieds ? N’est-ce rien que de savoir qu’elle en meurt ? — Mais il ne le sait pas. — Tu mens, tu le sais bien, c’est toi qui mens, cœur sans pitié, quand tu dis que je joue une comédie. Pourquoi, pourquoi ? Ah, si je m embarrassais