Page:Sand - Journal intime.pdf/29

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Ah ! l’autre nuit, j’avais rêvé qu’il était auprès de moi, qu’il m’embrassait, et je me suis réveillée dans la pâmoison du plaisir. Quel réveil, mon Dieu ! Cette tête de mort auprès de moi et cette chambre sombre où il ne remettra plus les pieds, ce lit où il ne dormira plus ! Je n’ai pus pu me retenir de crier. Pauvre Sophie[1], quelles nuits je lui procure !

Je ne peux pas souffrir tout cela ! Et tout cela pour rien ! J’ai trente ans, je suis belle encore, du moins je le serais dans quelques jours si je pouvais m’arrêter de pleurer. J’ai autour de moi des hommes qui valent mieux que moi et qui pourtant, à me prendre telle que je suis, sans mensonges, sans coquetterie aucune et faisant l’aveu le plus rigide de mes fautes, m’offriraient hardiment leur appui. Ah ! si je pouvais me mettre à aimer quelqu’un ! Mon Dieu, rendez-moi ma féroce vigueur de Venise, rendez-moi cet âpre amour de la vie, qui m’a prise comme un accès de rage, au milieu du plus affreux désespoir. Faites que j’aime encore ! Ah ! l’on s’amuse à me tuer, l’on y prend plaisir, on boit mes larmes en riant ! Eh bien, moi, je ne veux pas mourir. Je veux aimer, je veux rajeunir, je veux vivre ! Mais cela est tombé ! Dieu, tu le suis, comme tu m’as abandonnée après ! C’était donc un crime ? L’amour de la vie est donc un crime ? L’homme qui vient

  1. Sophie Cramer, sa bonne.